Hubert commençait à composer le numéro d’Interflora quand Simone surgit dans le salon. Dans ses yeux dansaient les flammes de l’enfer. En hurlant des phrases incompréhensibles tant elle avait la rage postillonnante et le souffle court, elle traversa comme une furie le petit appartement pour se précipiter dans la chambre. Hubert, pétrifié face à un tel déchaînement, la vit empoigner la valise près de la table de chevet où il l’avait posée le lundi en rentrant. Il entendit claquer les portes de l’armoires et grincer les tiroirs de la commode. Il reposa lentement le combiné téléphonique. La soirée ne ressemblerait pas à ce qu’il avait imaginé.
- Maintenant tu prends tes affaires et tu disparais de ma vue !
- Mais Simone, je ne comprends pas…
Pour toute explication, elle lui mit sous les yeux un ticket de caisse un peu froissé. Simone l’avait trouvé en vidant les poches de son costume à rayures au pressing. Le détail de la facture du C & A d’Haussmann était parfaitement lisible.
Lingerie homme : 3 slips / 3 paires de chaussettes / un tee-shirt / une chemise.
Jusque là rien d’anormal. Hubert connaissait la suite et là il y avait comme un problème.
Lingerie femme : 4 culottes / un soutien gorge / un string / 3 paires de bas
La colonne vertébrale d’Hubert était branchée sur une gégène, sa tête dans la glace, les pieds dans une étuve.
Il revivait l’instant fatal. Mauvais réflexe !
« Je règle tout, on s’arrangera à l’hôtel »
Dolorès avait laissé son chéquier dans le taxi et le bon cœur d’Hubert l’avait perdu !
Il tenta de bredouiller de vagues explications mais les mots n’arrivaient pas à franchir sa glotte.
En quelques secondes il se retrouva sur le palier où la valise l’avait précédé.
- Tu peux aller la rejoindre !
- Mais Simone, je te jure…je la connais pas vraiment...j’sais même pas où elle habite.
- Menteur ! j’te donne pas cinq minutes pour lui téléphoner !
VLAM ! Hubert avait failli prendre la porte sur le nez. Il s’assit un moment sur la valise mais il savait que Simone ne regrettait jamais rien. Leur doux logis était devenu pour lui une forteresse impénétrable gardée par un cerbère intraitable. Il était vraiment dans la panade !
Il traversa la place en traînant sa valise sans savoir où aller et croisa le buraliste.
- Alors Monsieur LANTIN, on retourne draguer à Paris ?
La malédiction du panel continuait à frapper !
Quelques grosses gouttes commençaient à tomber. Hubert s’approchait du parvis de la gare quand la valise s’ouvrit en deux comme un fruit trop mûr. Le linge s’éparpilla sur le bitume humide et il vit rouler la rosette de Lyon (fleuron de la Boucherie-Charcuterie LANTIN) à peine entamée qu’il avait oubliée au fond de son bagage.
La pluie devenait de plus en plus forte. Il rassembla ses affaires et courut se mettre à l’abri dans le hall de gare où il s’écroula sur un banc. Les cheveux dégoulinants, il reprenait son souffle en tentant de réfléchir à ce qu’il allait faire. Jadis, son père lui répétait toujours qu’on ne peut pas avoir les idées claires quand on a le ventre creux. Hubert sortit son opinel et commença à couper des tranches de saucissons qu’il entreprit de déguster en mastiquant lentement. Où devait-il aller ? Sa sœur ? Trop heureuse de se foutre de lui ! Ses copains ? Mariés à des harpies aussi féroces que Simone ! Hubert n’était pas loin du désespoir. Ses yeux perdus dans le vague s’arrêtèrent soudain sur l’étiquette de la précieuse rosette.
06 75 07 45 83
Le numéro de téléphone de Dolorès ! Il l’avait noté là pour lui faire plaisir quand ils avaient partagé ensemble une ou deux rondelles dans le hall de l’hôtel avant qu’on leur donne les clefs de chambre.
« Elle est bonne ta rosette. Passe-moi un coup de fil quand tu en fabriques. De Lyon, un p’tit tour en voiture jusqu'à chez toi, ça doit être vite fait et ça me promènera ! » avait-elle conclu en lui donnant un coup d'épaule. Brave femme, toujours le sourire, toujours de bonne humeur.
Et ses petits yeux coquins !
06-75-07-45-83
Hubert composait le numéro de Dolorès.
La prédiction de Simone se réalisait.
FIN
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