Juste envoyer une petite note en vitesse pour vous rassurer.
Je vais bien.
Mais depuis mon dernier billet ma vie est devenue un enfer.
La Mouette (à cause de qui tout est arrivé) et moi avons du prendre le maquis pour vivre cachés, loin de ceux qui veulent notre peau.
Mon volatile préféré ne se manifestait que très rarement sur le blog ces derniers temps et il a suffit que mademoiselle nous tape quelques lignes pour que nous soyons obligés de fuir, avec tous les porte-flingues et chasseurs de tête du syndicat des ostréiculteurs à nos trousses.
Ils sont énervés, susceptibles et furieusement à cran. Après l’affaire de la souris du bassin d’Arcachon, les impertinences de la mouette de la vallée du Gier ont vraiment pour eux du mal à passer. La goutte d’au qui fait déborder la vase !
A l’heure où j’écris ces mots j’ignore l’issue de ce calvaire mais je me sens soudain très proche de Salman Rushdie ! Les ayatollahs de la fine de Claire me donnent des cauchemars.
Et pendant ce temps la Tousseuse organise la rébellion dans les parcs. Elle a décidé de lancer un grand mouvement de protestation « Pour une mort plus douce des mollusques bivalves ». Elle a déjà reçu une délégation de Marennes-Oléron qui s’est rendue en bourriche à Lyon et elle espère voir très vite les bretonnes, les normandes et celles de l’étang de Thau. Elle dit qu’il faut profiter des élections. On n’est pas rendu !
Et moi, ça commence à me taper sur le Belon. Mais avec toutes ces fêtes et leurs prolongations faudrait peut-être itou que je songe à arrêter le champagne et autres plaisirs dont l’abus peut nuire à ma santé.
Depuis ce matin, planant autour du troquet, l’extravagant volatile guette l’arrivée hypothétique d’une équipe de télévision ou de radio. Elle se pose parfois pour venir tremper son bec dans son verre de picon-bière et fait la fière devant les clients du bar.
Explication.
Au lever du jour, la Mouette a appris, en écoutant France-Info, que l’autre, comme elle l’appelle, avait enfin fait connaître ses intentions pour les mois à venir et elle s’attribue une bonne part de responsabilité dans cette décision. Elle est persuadée que son billet d’humeur, publié la veille, a contraint l’homme du définitif temporaire à rendre le dossard virtuel qu’il s’était accroché depuis quelques semaines dans le dos.
La course se fera sans lui puisqu’il n’aime pas la défaite.Et la Mouette prend la grosse tête ! Décidément, la politique, qu’on soit du clan des mégalos, des paranos ou des oiseaux, ç’est un drôle de sport qui vous fait perdre facilement le sens commun.
Je peux même vous le faire dans d’autres dialectes :
« Hello my dear friends »
« Hallo meine lieben Freunde »
« buongiorno i miei cari amici »
Y’a pas mieux que les vacances et les voyages pour devenir polyglotte (et tant mieux si ça assèche la glotte !)
Mais j’ai pas pour autant oublier ma langue maternelle :
Salut mes chers amis !
Je suis heureuse de vous retrouver et je vous adresse pleins de petits coups de bec en attendant mieux.
Car j’ai décidé de prendre la parole plus souvent sur ce blog. Je vais en parler à Mich mais s’il n’est pas d’accord je me réfugierai dans la clandestinité.
Faut pas se laisser faire ! Faut lutter ! Faut se bouger ! No pasaran !
Bon en attendant je vais aller faire une révolution complète du cadran de mon réveil. J’ai grand besoin de sommeil. Faire la fête, c’est bien joli mais si on veut des lendemains qui chantent faut savoir se reposer. Pour l’instant, je suis fourbue, rendue, éreintue, crevue, ratatinue et tarabiscornue !
Tchaü !
Après les nuits de folie et les DJ déjantés, une belle chanson pour m’endormir. C’est pas Muse « à la manière de… », c’est les vrais ! Faites comme moi, fermez les yeux. On touche au sublime…
Je viens de recevoir un mail par lequel elle m’annonce son retour imminent. Elle n’est pas très loin et passe juste une dernière soirée avec quelques amis rencontrés sur la route. Ca fait deux jours qu’ils font ensemble du vol plané et des figures libres autour du viaduc de Millau. Il paraît que c’est sympa comme tout ! La vie d’une mouette, tousseuse ou non, n’a rien de très compliqué. Un endroit pittoresque où profiter des courants ascendants et crier tout son soûl et le tour est joué. J’ajoute pour la mienne un fond de verre à licher avec de la musique en fond sonore et c’est le paradis.
Quand j’ai fermé le troquet, elle a pris la direction de la Côte d’Azur. Elle voulait voir St Trop’ et du « people » en goguette. Mais elle n’y a trouvé que du footballeur gominé et après un mois de Coupe du Monde y’avait overdose. Alors elle nous a rejoint dans les Pyrénées. L’air y était plus vif et l’atmosphère moins frelatée. Elle a lié connaissance avec quelques milans du coin pour des sorties un peu toniques. Elle a même fait une virée du côté du Pic du Midi avec des vautours, à qui il convient, d’après elle, de parler très poliment.
Ensuite, quand nous sommes rentrés, elle a filé du côté d’Ibiza pour retrouver des potes qu’elle s’était faits au mois de mai (vous vous souvenez ?). La-bas ses nuits ont dû être plus courtes qu’au pied du Tourmalet mais à son âge il faut en profiter.
Elle doit avoir hâte de me vous raconter tout ça.
Et de mon côté, je sais que demain je vais surveiller le ciel. Je suis impatient de la retrouver. Le troquet sans elle (sans ailes !) c’est pas le top. Et j’ai vraiment pas envie de changer mon enseigne !
Elle se pose hier soir sur mon épaule et me donne un petit coup de bec sur la joue. Elle semble heureuse de nous retrouver et de constater qu’elle était impatiemment attendue. Un pont entre l’Ascension et Pentecôte, ça fait de belles vacances. C’est souvent chouette la vie d’une mouette !
Comme elle fait sa câline, je respire sous ses plumes des parfums d’algue et de marée. Elle me raconte rapidement qu’elle a eu droit à tous les temps près des côtes bretonnes. La pluie, le vent, le soleil, le climat idéal pour jouer avec les vagues autour du phare de la Vieille.
Mais pourquoi revient-elle ?
Qu’est-ce qui pousse ce fier volatile à faire d’un modeste troquet de la vallée du Gier sa résidence principale ?
La vie entre Saint Etienne et Lyon se parerait-elle de charmes insoupçonnés capables d’envoûter une mouette grippée ?
Moi qui suis né ici et qui sais que les atouts d’un tel coin, même s’ils sont bien réels (je vous les décrirai), ne sautent pas aux yeux, je suis stupéfait d’un tel attachement.
Alors ?
C’est nous ?
Le matou ?
Le juke-box ?
Les trois raisons à la fois et peut-être bien d’autres encore.
Comme le Picon-bière par exemple !
Allez, je tire une pinte et je la partage avec ma tousseuse adorée !
Puissent ses quintes résonner longtemps au-dessus de nos têtes !
Ca y’est ! A peine m’étais-je servi un petit demi pour tenir compagnie à mes habitués du comptoir qu’elle se met à tousser dans mon verre. Là, c’est le signe qu’elle pète la forme et qu’elle cherche à m’embêter.
Normal, depuis ce matin, la mouette fait la gueule.
Pourtant elle aussi a passé de bonnes vacances. Elle nous a rejoint tranquillement en coupant au plus court (privilège du vol d’oiseau), sans payer les péages et en faisant le plein de temps en temps avec ce qui lui tombait sous le bec. Et là-bas, après une bonne nuit de sommeil, on ne l’a plus revue. Je l’ai simplement entraperçue de temps en temps jouant avec ses amis dans les courants ascensionnels le long des falaises du Cap de La Nao. Ca semblait les amuser énormément et ils prenaient visiblement une palme terrible à se laisser porter, frôlant le rocher entre le ciel et l’eau. C’est comme ça qu’on s’envoie en l’air chez les mouettes ! Enfin, je ne sais pas tout mais visiblement elle était bien entourée et je suis sûr qu’elle ne s’est pas ennuyée. C’est une grande fille, elle est libre de faire ce qui lui plaît !
J’ai même pensé un moment, non sans crainte je l’avoue, qu’elle allait rester pour profiter définitivement du « sea, sex and sun » local. A deux coups d’aile d’Ibiza, c’est forcément tentant.
Et bien non ! Le vendredi soir, elle est revenue pour me demander si c’était bien le lendemain qu’on repartait pour Beauvoir. Elle m’a expliqué qu’elle avait un petit peu perdu la notion du temps en mélangeant les jours et les nuits. Le syndrome de l’heure espagnole sur le cerveau d’une mouette bretonne ! Quand je lui ai dit qu’on prenait bien la route le lendemain matin, elle m’a dit que c’était OK pour elle. Sur le coup, je l’aurais embrassée. Elle a bien senti que j’étais content et en a profité pour me demander de faire le trajet avec nous. Dans la voiture ? Dans la voiture ! Parce qu’elle prétextait un peu de fatigue et qu’elle risquait de s’endormir en volant. J’étais prêt à écouter n’importe quelle explication et à succomber à tous ses désirs. Cette mouette n’est pas banale : préférer la vallée du Gier aux rivages ensoleillés de la Province d’Alicante relève d’une subtilité d’esprit dont l’exploration risque de m’occuper un sacré bout de temps.
Bon, c’est vrai qu’elle a été pénible tout le voyage. Elle a choisi les CD, le moment des arrêts-pipi, les aires pour les repas, les pompes à essence. Perchée sur mon épaule elle a trouvé que je roulais trop vite, pas assez vite, trop longtemps à gauche, trop près, que j’oubliais mon clignotant, mon rétro. Elle a même insulté les douaniers au poste frontière sous prétexte qu’ils ne faisaient pas leur travail à regarder passer les voitures les mains dans les poches. Heureusement que le gabelou de base ne comprend pas la mouette de Beauvoir sinon nous avions droit à une fouille en règle jusqu’au milieu de la nuit.
Enfin nous sommes revenus avec elle et j’ai maintenant le sentiment qu’on va avoir du mal à se quitter.
Si, depuis ce matin, elle tire la tronche, c’est qu’elle a lu sur le blog un petit mot gentil de Sophie Ménart qui l’invitait pour boire un verre de muscat sec. Et la mouette voudrait que je l’accompagne. Grande fille mais parfois farouche ! J’ai beau lui dire que l’occasion se présentera sûrement une autre fois quand nous passerons près de Montpellier, elle continue à me regarder comme un pauvre boutiquier, misérable comptable de son temps, de ses kilomètres, de sa fatigue, de son travail. Elle a peut-être raison, mais c’est moi qui commande.
Je me contenterai pour l’instant de rendre visite à Sophie sur son blog où l’on est bien accueilli et où la promenade est très agréable. Allez y faire un tour, vous ne serez pas déçus.
"The Dock Of The Bay" à longueur de journée c’était plus possible. Les clients faisaient demi-tour sur la terrasse dés qu’il constatait la persistance du symptôme. Oui, c’est ça, comme un virus dans le troquet, une gangrène pour mon petit négoce.
Et l’autre qui se dandinait langoureusement sur le sommet du jukebox, à coté d’une pile de jeton pour recharger la machine. Elle avait fini par la savoir par cœur et finissait par couvrir la voix d’Otis. Heureusement que j’étais le seul à l’entendre.
J’ai tout essayé. La douceur, le chantage, la menace, les cris. Aucun résultat. Sais-tu que c’est têtue une mouette qui chante à tue-tête ?
Alors une nuit, j’ai ouvert les entrailles de la boite à musique et j’en ai extrait la cause de mes tourments. J’ai glissé le 45t sous une pile de livres au fond du grenier.
Elle a boudé pendant trois jours sans mettre une palme dans le troquet. Les affaires reprenaient mais question ambiance, il manquait quelque chose.
Alors j’ai fait le premier pas. J’ai marché jusqu’à son platane et je lui ai proposé de venir choisir des disques dans la malle aux trésors. C’était une vraie connerie ! Elle a le chic pour vous dégoûter d’un morceau.
Celui-ci pourtant, je l’aime bien. Il a tourné souvent sur les teppaz des boums de ma jeunesse. Ce côté rock de garage, punk bien avant l’heure, ça vous encanaillait subtilement une soirée.
Mais là, Trashmen « Surfin’Bird » / Trashmen « Surfin’Bird » / Trashmen « Surfin’Bird » / Trashmen « Surfin’Bird » / Trashmen « Surfin’Bird », je craque ! En plus, elle ne fait pas dans la discrétion. Elle se trémousse en battant des ailes comme une vraie dingue.
Je sers mon dernier verre, je tire le rideau et je pars respirer l’air printanier de la campagne. Pendant ce temps, l’autre empaffée va faire son pogo toute seule en s’envoyant du picon-bière !
L’autre jour, j’ai ouvert quelques malles au grenier pour renouveler mon fonds de jukebox. Je suis redescendu avec une pile de précieuses galettes que nous appelions autrefois des 45 tours. Là, ça date une époque beaucoup mieux que le carbone 14 ! Quand on possède ces petits disques noirs dont on peut de chacun raconter toute l’histoire (la classe ! une rime de deux alexandrins !), c’est le signe qu’on a déjà un sacré paquet d’années de vol. Accrochons-nous au manche à balai, y a peut-être des turbulences en vue sur la ligne d’horizon !
J’ai donc mis quelques nouveaux (façon de parler !) titres dans ma boite à musique. Et pour inaugurer la série j’ai lancé un morceau pour faire un clin d’œil à mon cousin qui lui se trouve en pleine tempête. Un mec qu’on a découvert ensemble et qui nous a sacrément fait vibrer : Otis Redding
Depuis, la mouette passe « The Dock Of The Bay » en boucle. Elle a coincé le système sur « replay » et ce matin au troquet, j’ai été obligé de débrancher le bazar avant d’avoir une émeute.
Comme elle faisait la gueule en toussant dans tous les verres, je lui ai chargé le lecteur mp3 et elle est partie sur son platane où elle écoute tranquillement son tube du week-end en partageant les écouteurs avec le matou.
Et connaissez-vous la raison d’un tel engouement ?
Cherchez pas ! Introuvable !
La mouette croit reconnaître, dans l’intro de la chanson, la voix d’un vieil oncle du côté de sa mère. On lui avait raconté l’histoire quand elle était toute petite au fond du nid mais elle n’avait jamais eu l’occasion d’entendre le morceau. Y’a des jours où je me demande où elle va chercher des trucs pareils. Là, elle est formelle ! C’est bien le tonton de San Francisco ! Un membre de sa famille pour un succès planétaire, une fois de plus, elle fait la fière !
Pour ma part, j’ai sincèrement l’impression que ces petits cris d’oiseaux naissent sous les doigts de Booker T, le précieux organiste des MG’s.
Après tout, on s’en fout. Reste la beauté de ce titre intemporel qui fut le hit posthume de l’immense Otis Redding.
Comme je vous l’ai dit, c’est la mouette qui gardait le troquet dimanche après-midi. Elle s’était confortablement installée près du distributeur de cacahuètes sur le bar et je lui avais laissé à portée de bec un fond de picon-bière. Je sais, je ne devrais pas. Emena me le reproche souvent mais j’ai des faiblesses pour ce volatile et c’est vrai qu’elle apprécie le picon-bière autant que moi. Elle me dit que c’est bon pour sa toux, alors…
Donc elle regardait tranquillement le Tour des Flandres à la télé (oui, comme moi, elle adore le vélo) quand on a frappé au volet.
Elle s’est trouvée bec à bec avec un gros corbeau noir, le style vieux baroudeur fort en gueule, qui n’a pas attendu l’autorisation pour entrer dans le troquet, invitant dans son sillage deux autres compères aux mines patibulaires, un pigeon ramier borgne et un martinet au crâne rasé. Ils ont abandonné une jeune bécasse maquillée de façon un peu vulgaire qui préférait les attendre au soleil sur la terrasse.
La mouette a laissé la fenêtre ouverte, flairant immédiatement que cette soudaine intrusion sentait l’embrouille et pouvait se terminer en volée de plumes.
Le corbeau, qui paraissait le chef de bande, lui a expliqué le motif de sa visite. Il se prétendait chargé d’une mission, mandaté par un groupe de congénères pour vérifier plusieurs choses.
Pourquoi une mouette si loin des golfes clairs?
La mouette a répondu qu’elle habitait où elle veut. Et qu’elle ne leur demandait pas à eux où ils nichaient parce qu’elle n’en avait rien à foutre.
Le martinet commençait à s’exciter et le pigeon lui fit signe de se calmer.
Pourquoi cette touxpersistante ?
La mouette fut prise d’une série de quintes qui firent gicler quelques cacahuètes mal digérées et leur expliqua entre deux raclements de gorge qu’elle était allergique à la bêtise et que cette affection risquait donc de s’éterniser.
Là, elle vit passer dans l’œil valide du ramier une envie de castagne. Un petit parfum de méli-mélo de plumes commençait à flotter. Seul le gros corbeau noir restait impassible et continuait calmement son interrogatoire.
Cette toux, ne viendrait-elle pas plutôt de la fréquentation de volatiles d’origine étrangère ayant franchi les frontières clandestinement et sans les certificats obligatoires de traçabilité ? Et qui nous assure que tu ne fais pas toi-aussi parti de cette racaille?
Et voilà ! On y était ! C’était partout pareil. La mouette avait déjà supporté ce genre d’âneries en écoutant certains humains mais, même si un vieux hibou le lui avait susurré, constater la même stupidité chez des bestioles de son espèce lui donnait soudain envie de gerber.
Les trois conards semblaient se délecter du sale quart d’heure qu’elle allait passer. Mais elle se précipita hors du troquet et ferma rapidement la fenêtre (un jour, promis, je vous expliquerai comment elle fait ça !). Ensuite, elle alla réveiller le chat qui dormait sur la branche d’un platane. Un gros matou, un peu loubard, avec qui elle taillait des bavettes en soirée. Elle lui ouvrit le soupirail de la cave…
La suite, je l’ai vue dans le troquet en rentrant et je vous laisse deviner le carnage. Le minou ne leur a pas laissé beaucoup de plume pour continuer à voler. Et si le porte manteau n’était pas tomber en cassant un carreau je crois que la bécasse n’aurait jamais revu ses copains. Au moins, elle pourra témoigner qu’ils en ont pris une bonne !
Le chat, je lui ai ouvert une bonne boite de pâtée. Et avec la mouette j’ai partagé un picon-bière, dans le même verre, en lui disant que j’étais très fière de l’avoir pour amie.
Maintenant, en y réfléchissant bien, ça me paraît un truc tordu cette histoire de grippe aviaire. La peur, toujours la peur…
Depuis hier soir elle boude et je pensais que la nuit la remettrait d’aplomb mais elle s’est réveillée toujours grognon et ne cesse de ronchonner dans son coin.
Tout ça parce qu’elle ne supporte pas le mensonge et la mauvaise foi. On a les mouettes qu’on peut mais la mienne, d’abord elle tousse, ce qui n’est pas politiquement correct dans ce monde aseptisé et cette société du « principe de précaution », ensuite elle est d’une droiture absolue. Son honnêteté, sa probité sont sans égales et si elle prend les commandes et tient la caisse dans le troquet, c’est qu’on a compris qu’elle pouvait s’acquitter de la tâche mieux que personne. Et pendant ce temps, Emena, qui devait gérer cette corvée, retrouve ses toiles et ses pinceaux.
La mouette adore les chiffres et se joue du moindre calcul.
Hier, rappelez-vous, je l’ai expédié hors du bistrot parce qu’elle toussait comme une damnée. Elle a fait quelques balades autour de la place et ayant survolé le lycée voisin à l’effectif quelque peu clairsemé, s’est mise en tête de faire une virée à Saint-Etienne pour survoler la manif du jour.
Quand elle est rentrée juste avant la nuit, elle était toute guillerette et ne toussait presque plus. J’ai pensé qu’un peu d’exercice lui avait fait du bien.
Elle a allumé la télé pour les infos régionales et posée sur le bras de la tireuse à bière s’est mise en position d’écoute. Pour la mouette cela consiste à rentrer légèrement la tête, bec fermé et yeux mi-clos. On croit qu’elle dort. Elle voit tout, elle entend tout.
Le journaliste a commencé à parler de la manif :
- ….dans les rues de Saint-Etienne entre le parvis de l’Hôtel de Ville et…
Le cou se rétractait encore un peu, les yeux n’étaient plus que des fentes.
- …manifestants au nombre de 2000 selon la police et 5000 selon les organisateurs »
Aaargh ! Un cri rauque venu du fond du gosier. La mouette sauta sur le percolateur, puis sur le poste télé et enfin au sommet du porte-manteau de l’entrée. Partie dans une quinte abominable, elle alla se réfugier dans la cave, par l’escalier derrière le bar et je l’entendis de longues minutes alterner les cris et les toussotements.
Quand elle revint, elle faisait la tronche ! Pendant le repas (elle picore régulièrement un peu avec nous) elle n’a pas ouvert le bec. Avec Emena on a fait cas de rien et on papotait sans s’occuper du muet volatile.
Le soir elle s’est perchée sur un platane de la place jusqu'à ce qu’on tire les volets. C’est alors qu’elle est venue se poser sur mon épaule et dans un souffle m’a murmuré ce qu’elle avait sur la patate. Puis elle est partie se coucher dans un repaire connu d’elle seule. Chacun chez soi, avec les mouettes c’est mieux comme ça.
Emena était un peu inquiète, je l’ai rassurée.
-3153 manifestants, elle les a comptés!
-Alors ?
-Alors elle est furieuse. D’après elle, soit les humains sont nuls en calcul, soit c’est une race de méchants menteurs.
-Les deux !
-Elle s’en doute et ça la ronge…
Bon, je vous passe les rêves de la nuit où j’ai fait des loopings sur une calculette, ce seait trop long à raconter. Maintenant je vais vous quitter. Il faut que j’aille m’occuper de la bestiole. Je vais lui expliquer que c’est ainsi depuis la nuit des temps, que tout homme se ridiculise quand il prétend avoir raison, que la vérité est mensonge et vice et versa, que les pois sont rouges et que l’eau bue éclate…
Houlà, moi j’ai la pêche pour rédiger les sujets du bac de philo !
Allez la mouette, arrête de bougonner, on te préfère rieuse…
Ce truc devrait plaire à la mouette. C'est carré, ça déborde pas, c'est binaire, ric-rac!
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