Je suis prêt à faire amende honorable si on me prouve le contraire mais pour ma part je n’ai rien vu. Les gens à qui j’ai posé la question ça et là n’ont rien vu également.
J’en conclus donc que ce fut un black-out total sur les chaînes généralistes. Rien le jour même, pas plus le lendemain et zéro les jours d’après. Pas la moindre image, pas le plus court des commentaires. Le vide, le silence, le mépris.
Je veux parler d’une opération rituelle qui s’est déroulée, comme chaque année au début de l’automne, dans la capitale et de nombreuses villes de province (et même à Montréal): la Pyramide de Chaussures d’Handicap International. C’était le 29 septembre 2007 et une journée propice pour s’informer sur les sinistres bombes à sous-munitions et signer la pétition contre ces armes qui tuent et mutilent des milliers de civils.
Ce jour là, à Paris sur la Piazza du Centre Pompidou de Beaubourg, de nombreuses personnes (dont ma fille Fanny) ont pu entendre Jean-Baptiste Richardier, directeur d’Handicap International, rappeler au Président de la République et à certains membres éminents du gouvernement les engagements qu’ils avaient pris au printemps dernier et s’étonner de leur silence et des fins de non-revoir depuis qu’ils sont aux affaires. Le discours fut précis, l’attaque frontale et sans ambiguïté.
Faut-il y voir l’explication de l’absence de tout reportage dans les journaux télévisés.
Pas de mauvais esprit, je vous en prie.
L’actualité, ces derniers temps, était tellement chargée qu’on peut comprendre la nécessité de faire des choix et il est plus important, n'est-ce pas de diffuser l’interview béatique des épouses de joueurs de rugby (désormais éplorées et inconsolables) plutôt que la désolation des champs de mines ou la hontedes bombes à sous-munitions quede nombreux pays, DONT LA FRANCE, continuent de produire, d'utiliser et d'exporter.
Et on lit les éditoriaux révoltés des belles plumes de la presse écrite, on écoute les commentaires scandalisés de celles et ceux qui présentent les grands messes des infos du bocal.
Il faut savoir quels sont les responsables de cette vidéo pirate. Dans un monde civilisé ce ne sont pas des choses qui se font !
Ils sont choqués les journalistes. La main sur le cœur, ils vont mener l’enquête.
Mais leur indignation n’atteindra jamais la profondeur de leur amnésie.
Car il est difficile d’oublier que ce sont les mêmes qui se sont complaisamment servis de ces images inutiles dont la diffusion ne fait honneur ni à la déontologie de leur profession ni à l'éthique d'une nation qui se flatte d’avoir aboli la peine de mort.
Tout le monde a entendu parler de la réapparition de Natacha, jeune fille autrichienne, après huit années de séquestration au fond d’une cave d’un pavillon de la banlieue viennoise.
Jeudi 25 août au JT de France 2 à 13h, les premières images des télés locales et les premiers commentaires, traduits pour la circonstance.
Le père de la victime, harcelé par la meute, dit son émotion.
« Comment avez-vous vécu ces huit dernières années ? »
Quand un prétendu journaliste (autrichien cette fois-ci, preuve qu’ « y’a pas que chez nous ! ») pose une question d’une telle imbécillité il mériterait une réponse d’un même niveau. Genre :
« J’ai fait la fête tous les soirs »
« J’ai adopté des chats et je tue systématiquement tous leurs petits »
« J’ai vendu la familiale pour une décapotable »
Quand un rédacteur en chef ( bien de chez nous, preuve qu’ « y’a pas que chez les autres !) choisit après visionnage de diffuser ce genre de conneries, je me demande où il a apprit son métier. Ce jour-là en l’occurrence, ils étaient deux, Frédérique LANTIERI et Nicolas JACOBS (vous pouvez vérifier sur le site de France Télévisions) et y’en a pas un qui a pu penser que cette séquence n’avait pas sa place dans un JT qui se veut sérieux et informatif.
A la question débile, le père a tenté de répondre mais aucun son n’a pu sortir de sa bouche. Puis il s’est caché la tête dans les mains pour dissimuler ses sanglots. Emotion en gros plan. Voilà la justification du choix journalistique. Dix secondes de pur voyeurisme.
Sur chaque poste de télé il y a un bouton qui permet de l’éteindre. Ca paraît con de dire ça mais c’est vrai qu’on a souvent tendance à l’oublier. C’est ainsi que nous subissons la loi de l’image et du son le plus souvent sans réaction, habitués que nous sommes à avaler notre ration quotidienne de bêtise. On pourrait disserter longtemps sur l’indigence des programmes, mais c’est un procès un peu vain. Chaque émission est préparée suivant un fil conducteur, un thème, une construction dont le but premier est de divertir. Tout ceci est livré en pâture après avoir été fabriqué et généralement une annonce dans la presse en précède la diffusion. Artistique, culturelle, utile ou pas on est dans le domaine de la création. Libre à chacun de nous de s’informer de la teneur et de la qualité de telle ou telle séquence. Rien n’interdit d’aller voir ailleurs. Ce n’est pas cette télé là qui pose problème.
Non, ce qui me rend fou furieux ce sont les journaux télévisés et, à travers eux, la conception même de l’information. Des coups de pied au cul qui se perdent. Parce que là, il s’agit de journalisme et ce n’est pas une notion qu’on peut galvauder.
Juste un exemple récent pour illustrer mon propos.
Hier soir, JT de 20h sur une chaîne généraliste. Peu importe laquelle, elles ont les mêmes tares.
Après huit minutes sur la situation sociale et le CPE, un document sur l’incendie d’une maison quelque part en France. Un fait divers dramatique mais malgré tout banal. Curieuse hiérarchie des sujets ! on abordera bien après les élections en Italie et les inondations en Allemagne.
Trois enfants malheureusement carbonisés dans un appartement. Le commentaire précise « tout le village est sous le choc » Tiens donc ! Comme c’est étonnant !
On continue.
Commentaire : « peut-être un mégot mal éteint ». Une tentative d’explication. Ouf! Ce n’est pas une attaque d’extra-terrestres.
On continue. Séquence technique
Interview d’un pompier:
"On a pénétré à l’intérieur et malheureusement on a découvert les trois enfants"
Le journaliste que nous appellerons Monsieur NULLARD pose alors la question
"Dans quel état?"
Ca vous intéresse vraiment de savoir à quoi ressemblent les cadavres ? Moi ça me donne envie de mettre des baffes !
On continue. On descend encore un peu plus bas.
C’est le moment de lâcher l’insinuation qui va faire discuter sur la place du marché. On était dans le drame, on susurre qu’on pourrait basculer dans l’ignoble.
Commentaire du grand reporter NULLARD : « Des analyses de sang sont en cours pour déterminer si les parents étaient sous l’emprise d’alcool ou de médicaments ». Aie ! Aie ! Ca devient glauque. Non ! Pas de précipitation et de conclusions hâtives. Après avoir craché son venin, NULLARD Se veut rassurant:
« Les enquêteurs penchent, pour l’instant, vers la thèse de l’accident ». Pour le lynchage sur la place publique, on verra plus tard !
Et on continue. Séquence émotion
Commentaire : « Dans le quartiers les camarades sont meurtris » Ah bon ! Les enfants du village ne jouent pas à la cachette dans les décombres de la villa ?
La caméra fait un gros plan d’un bambin d’une dizaine d’année très ému :
"C’est…des enfants…euh…qui…qui meurent…c’est…dommage, quoi….je les connaissais…ils étaient gentils…et…voilà. »
Ah ! le beau travail ! Les larmes qui perlent aux yeux d’un enfant.
On continue. Conclusion bien triste.
Commentaire : « Le village est en deuil depuis ce matin » Ah mince ! Ils n’ont pas fait défiler la fanfare ?
Quand on subit un tel « reportage », la médiocrité du propos finit par vous écœurer et on en vient à avoir honte de soi-même. Pourtant des Monsieur NULLARD, journalistes de profession, avec leur carte de presse comme oriflamme, on en trouve à foison à la télévision. Et les rédactions entérinent ces sujets bâclés, mal montés au pathos lourdingue et aux commentaires redondants.
Qu’en pense-t-on dans les écoles de journalisme de tous ces enfoirés qui ridiculisent la profession?
Vert de rage. Faut que je me calme. J’ai besoin de quelque chose de doux, de suave, de sirupeux…Ah ! j’ai trouvé…
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